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Prud’hommes
Une preuve illicite peut être recevable

03/04/2024

Devant un tribunal, il est coutume de dire que ce qui ne peut pas être prouvé est réputé ne pas avoir existé. La preuve est le cœur de tout litige. Pour gagner, il faut prouver, quitte à user désormais de procédés illicites.

Une preuve issue d’un système de vidéosurveillance irrégulier pourra être retenue en l’absence d’autres éléments.

Alors qu’en matière pénale la liberté de la preuve est totale, en matière civile, la Cour de cassation exigeait traditionnellement qu’elle soit licite et loyale pour être admissible. Pour que le juge puisse s’en servir dans sa décision, la preuve ne pouvait pas résulter d’un procédé illicite ou d’un stratagème attentatoire aux droits de la personne contre qui il est utilisé. Par exemple : placer le salarié dans une situation pour l'accuser de la faute qu’il commet à cette occasion [1] ou enregistrer secrètement une conversation téléphonique privée pour reprocher des propos tenus lors de cet échange [2].

Le respect des droits fondamentaux comme le droit au respect de la vie privée et de la correspondance [3] bloquait l’admission d’un élément de preuve y portant atteinte, même s’il permettait de démontrer que la personne en question avait tenu des propos condamnables ou adopté un comportement problématique.

Une recevabilité sous conditions

Les limites de cette position sont apparues en ce qu’elle peut compromettre l’effectivité de l’accès des justiciables au juge, autre droit fondamental et, notamment le droit des parties à pouvoir prouver leurs prétentions [4].

Pour concilier l’ensemble, la Cour de cassation juge désormais que l’illicéité dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Cette exception à la preuve licite, qui reste le principe, est soumise à deux conditions cumulatives : que la preuve illicite soit indispensable au droit à la preuve de la partie qui la produit et que l’atteinte qu’elle cause à l’autre soit strictement proportionnée au but poursuivi [5].

Une preuve illicite ne sera donc intégrée au débat que si celui qui la produit démontre qu’il ne dispose pas d'autre moyen, moins attentatoire aux droits de l’autre partie, pour prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, et que ce moyen est proportionné.

Sur ce fondement, la Cour de cassation a admis la production par un employeur (un hôpital) de photographies extraites d’un compte Messenger sur lesquelles la salariée licenciée apparaissait en maillot de bain au travail. La Cour jugeait alors que cet élément était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur (la photo était le seul moyen d’établir la faute) et l’atteinte causée à la vie privée de la salariée proportionnée au but poursuivi (les obligations de l’employeur vis-à-vis des patients ici) [6]. Même raisonnement pour la production des données personnelles issues d’un système de vidéosurveillance mis en place irrégulièrement, mais qui, limitée dans le temps et justifiée par des soupçons de vols, a été jugée admissible [7].

Gare aux enregistrements clandestins

Dans ces affaires, la recevabilité de la preuve illicite est donc en faveur de l’employeur : elle lui permet de justifier une sanction fondée au soutien de laquelle il ne dispose d’aucune autre preuve. Mais la recevabilité de la preuve déloyale peut tout autant être invoquée par le salarié qui, désormais, pourra produire un enregistrement clandestin qui sera reçu et écouté s’il est indispensable à la preuve du propos [8].

Il est ainsi à craindre que l’admission des preuves illicites provoque une dégradation des relations de travail, voire instaure un climat de suspicion dans un contexte tendu où chacun serait plus occupé à préparer sa défense – comme enregistrer l’autre –, qu’à dialoguer de manière constructive, ces enregistrements étant désormais susceptibles d’être admis dans un futur contentieux.

[1] Cass. soc. 16 janv. 1991, n° 89-41.052 ; Cass. soc. 18 mars 2008, n° 06-45.093 

[2] Cass., ass. plén., 7 janv. 2011, nos 09-14.316 et 09-14.667 ; Cass. soc. 29 janv. 2008, n° 06-45.814

[3] CEDH, art. 8 ; Code civil, art. 9

[4] CEDH, art. 6, al. 1

[5] Cass. soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.058 ; Cass. soc. 8 mars 2023, nos 21-20.798, 21-17.802 et 21-20.848 ; Cass. soc. 14 févr. 2024, n° 22-23.073

[6] Cass. soc. 4 oct. 2023, n° 21-25.452

[7] Cass. soc. 14 févr. 2024, n° 22-23.073

[8] Cass. soc. 17 janv. 2024, n° 22-17.474 : l’enregistrement clandestin versé par le salarié est écarté dans cet arrêt parce que d'autres éléments de preuve produits suffisaient à apprécier l'existence d'un harcèlement moral. En l’absence d’autres éléments, l’enregistrement aurait été recevable

Amélie Nadin, avocate, Picard avocats

Le recueil préalable de toutes les preuves

Le jour où la sanction (ou le licenciement) est notifiée, il est indispensable d’avoir déjà recueilli et conservé l’ensemble des éléments de preuve car c’est sur eux que le Conseil de prud’hommes s’appuiera pour statuer sur le bien-fondé ou non de la mesure contestée par le salarié (témoignages – Cerfa avec CNI –, rapports d’enquête signés, correspondances, déclarations d’évènements indésirables, constats d’huissier et, plus généralement, tout élément qui est cité dans le courrier de sanction ou de licenciement). Les conserver – classés et datés – avec l’ensemble des éléments procéduraux (convocations à entretien) et antécédents disciplinaires du salarié permet toujours un traitement optimisé du contentieux.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 229 - avril 2024






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