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Droit du travail
La discipline exercée par les managers de proximité

08/05/2024

Les cadres de proximité exercent un rôle central dans le processus disciplinaire. Premiers témoins des faits fautifs, ils sont aussi des relais du cadre institutionnel. Ils doivent donc être au clair avec les procédures et délais.

Formation des cadres sont les clés pour sécuriser les sanctions disciplinaires assumées par l’employeur.

Souvent, le responsable hiérarchique n’est pas détenteur du pouvoir disciplinaire, qui appartient à la direction. Pourtant, le manager de proximité est un personnage clé du processus disciplinaire en tant que premier témoin des faits fautifs et en tant que relais du cadre institutionnel auprès des équipes. Une grande partie des problèmes juridiques peuvent se résoudre par la communication. C’est là le rôle principal du manager direct, qui doit préciser les attentes de la hiérarchie, prévenir en cas de dysfonctionnement et accompagner la sanction afin qu’elle soit comprise.

L’objectif est d’éviter des erreurs fréquentes qui mènent à tolérer des comportements négligents pour finir par prendre une décision radicale, mais souvent trop tardive. L’idée étant que le salarié accepte la sanction et corrige son comportement, plutôt que de s’entêter dans son bon droit et de se considérer comme persécuté. Il ne s’agit pas de sanctionner à tout prix, mais de faire en sorte que la sanction, lorsqu’elle intervient, soit sécurisée. La meilleure manière de sensibiliser les chefs de service et adjoints de direction, voire les directeurs, sur l’importance de leurs interventions dans le domaine disciplinaire reste de les informer et de les former.  

1) Distinguer négligence et incompétence

La mauvaise exécution du travail ne relève pas nécessairement de la discipline. Il est donc important de qualifier correctement les faits, afin de déterminer s’ils peuvent faire l’objet d’une sanction. À titre d’illustration, l’insuffisance professionnelle est un motif personnel non disciplinaire. Elle se distingue de la négligence, qui relève du disciplinaire, par son caractère involontaire. Il s’agit d’incapacité ou d’inadaptation au poste, plus que de mauvaise volonté.

Le cadre juridique du traitement de la faute et de l’incompétence sont parfaitement distincts. L’insuffisance professionnelle se révèle sur la durée, à la suite d’entretiens et d’écrits formalisant les attentes de la hiérarchie. En matière disciplinaire au contraire, les délais sont courts. Il faut agir, car les faits fautifs et les précédentes sanctions se « périment » dans le temps (lire le premier encadré ci-dessous) et les décisions doivent être notifiées dans un délai d’un mois suivant l’entretien préalable. Les chefs de service doivent en être conscients afin de traiter l’information dans des délais suffisants.

2) Proscrire les sanctions illicites

Certains faits, bien que fautifs, ne peuvent pas donner lieu à sanction. Il s’agit notamment de ceux déjà sanctionnés, sauf s’ils sont réitérés. Ainsi, une faute ne peut être sanctionnée une nouvelle fois que si elle se répète dans le temps. De même en est-il des faits prescrits, c’est-à-dire connus depuis plus de deux mois (lire le deuxième encadré ci-dessous).

Certains motifs de sanction sont interdits par nature. On ne peut pas prendre de mesures discriminatoires liées par exemple à la santé ou à l’exercice d’un mandat, ni prendre de mesures de rétorsion à la suite d'une action en justice ou à la diffusion de faits par un lanceur d’alerte.

Enfin, un salarié ne peut pas être sanctionné pour des faits qu’il a commis dans le cadre de sa vie privée. Ainsi, le contenu d’un mail personnel ne peut lui être reproché, de même que des actes commis en dehors du cadre professionnel et sans lien avec celui-ci (par exemple une infraction routière).

3) Prononcer une mise à pied à titre conservatoire

Il peut être utile d’écarter le salarié de l’entreprise sans délai lorsque est envisagée à son encontre une sanction lourde telle qu’un licenciement pour faute grave. Cette mesure conservatoire, bien que non obligatoire, est conseillée. Elle se prononce oralement et doit être confirmée par écrit. Elle n’a pas de durée ni de terme précis, et prend fin lorsque la procédure disciplinaire arrive à son terme.

La mise à pied conservatoire est une période de suspension du contrat non rémunérée si elle est suivie d’un licenciement pour faute grave ou lourde. Dans tous les autres cas (faute simple, absence de sanction…), elle doit être rémunérée.

Attention au vocabulaire employé ! Il ne s’agit pas d’une sanction mais d’une mesure conservatoire, il ne faut pas l’assortir d’une durée. Une erreur peut entraîner une requalification en mise à pied disciplinaire, ce qui priverait le licenciement ultérieur de cause réelle et sérieuse, celui-ci constituant une double sanction.

4) Convoquer à l’entretien préalable

Avant toute sanction, le salarié doit être reçu lors d’un entretien préalable. Dans la branche de l’aide à domicile, il est toutefois permis de notifier un avertissement sans organiser d’entretien préalable.

La convocation écrite n’a pas à être motivée, elle doit seulement préciser l’objet de l’entretien, c’est-à-dire l’engagement d’une procédure disciplinaire. Il faut en outre noter la date, l’heure et le lieu de l’entretien ainsi que la possibilité pour le salarié de se faire assister. Cette convocation doit être remise au moins cinq jours ouvrables avant la date fixée pour l’entretien.

L’entretien peut être organisé même si le salarié est absent pour maladie. Il faut cependant veiller à le convoquer pendant les heures de sortie, c’est-à-dire éviter les plages horaires 9h-11h et 14h-16h ainsi que les jours non ouvrés (samedi, dimanche et jours fériés).

En cas d’indisponibilité, l’entretien peut être reporté. Attention cependant à respecter le délai de notification de la sanction, qui part du premier entretien lorsque le report est décidé par l’employeur. En revanche, lorsque l’entretien est reporté à la demande du salarié, alors le délai de notification de la sanction part du nouvel entretien. Si le salarié ne retire pas la lettre recommandée, cela n’a aucune incidence sur la procédure disciplinaire en cours, elle se poursuit normalement.

L’entretien doit être conduit par un représentant de l’employeur qui appartient à l’entreprise. Il s’agira en principe de la personne qui assume le pouvoir disciplinaire, qui peut se faire assister par un membre du personnel de son choix. Le manager pourra alors assister l’employeur dans l’exposé des griefs et recueillir les observations du salarié.

Selon que l’entreprise est ou non dotée de représentants du personnel, le salarié pourra être assisté par un membre du personnel ou un conseiller.

5) Prononcer la sanction disciplinaire

En dehors du licenciement, une sanction disciplinaire ne peut être prononcée que si elle est prévue par le règlement intérieur, dans le respect des dispositions conventionnelles. L’ordre d’énonciation des sanctions ne lie pas l’employeur. En matière de licenciement pour faute, il existe trois graduations, la faute simple, grave ou lourde.

Attention, la convention collective peut limiter le pouvoir disciplinaire de l’employeur. Ainsi, dans la branche associative sanitaire et sociale (Bass), les conventions collectives exigent que le salarié ait fait l’objet d’au moins une (pour la CCN 51) ou deux (pour la CCN 66) sanctions préalables pour être licencié pour faute simple.

On entend par faute grave, celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

La faute lourde est extrêmement rare, puisqu’elle implique une intention de nuire, c’est-à-dire la volonté de porter préjudice à l’entreprise dans la commission du fait fautif.

Surtout, la sanction doit être proportionnée à la faute. Certaines circonstances peuvent atténuer sa gravité, notamment l’ancienneté, un passé disciplinaire exemplaire ou les circonstances de la réalisation de la faute. Il est d’ailleurs permis d’individualiser les sanctions pour des salariés ayant participé à la même faute, à condition de le justifier par des éléments objectifs.

6) Motiver et notifier la sanction

Les motifs doivent être expressément mentionnés dans le courrier de notification. Le manager, qui est le premier informé de la faute, doit fournir à l’employeur des informations précises et matériellement vérifiables. À défaut de motif, la sanction serait sans cause réelle et sérieuse.

L’engagement d’une procédure disciplinaire n’oblige pas la hiérarchie à la mener à son terme. Les observations du salarié ou la révélation d’un fait nouveau peuvent justifier l’abandon de la procédure. Dans ce cas, il est important de s’en expliquer par écrit auprès du salarié, afin d’éviter tout reproche de procédure arbitraire.

La décision de sanctionner doit être rédigée par écrit, motivée, signée et remise en main propre contre décharge ou envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception. Elle est encadrée dans un délai minimum de deux jours ouvrables et maximum d’un mois suivant l’entretien.

Enfin, si la mesure envisagée est le licenciement d’un salarié protégé, les règles protectrices spécifiques doivent être respectées.

Frédérique Marron, avocate, Capstan Lyon

Prendre en compte la prescription des sanctions

L’employeur qui veut sanctionner un salarié peut invoquer à son encontre des sanctions antérieures, notamment dans le but de graduer l’usage du pouvoir disciplinaire. Au-delà du délai de prescription légal de trois ans, une sanction ne peut plus être invoquée. Ce délai peut être réduit conventionnellement, comme dans la Bass, dans laquelle il est prévu que toute sanction encourue par un salarié et non suivie d'une autre dans un délai maximal de deux ans sera annulée ; il n'en sera conservé aucune trace.

Respecter le délai de prescription des faits fautifs

Lorsqu’un salarié commet une faute, il faut être réactif, car les faits se prescrivent dans le temps. Ils ne peuvent plus être sanctionnés au-delà de deux mois après la date à laquelle l’employeur en prend connaissance. Le point de départ de ce délai n’est pas la date de commission des faits fautifs, mais celle à laquelle le représentant de l’entreprise (le supérieur hiérarchique) en a connaissance. Il est donc essentiel que le chef de service fasse remonter l’information rapidement, afin qu’il puisse être décidé d’éventuelles poursuites. Il est toutefois déconseillé de se précipiter. La jurisprudence tolère que l’employeur prenne le temps d’avoir une connaissance exacte et complète des faits pour lancer la procédure. Ce délai n’est pas suspendu par l’absence du salarié. Ainsi, même si le collaborateur est en maladie, l’engagement de la procédure disciplinaire doit intervenir dans les deux mois. Seuls deux événements interrompent le délai de prescription : le déclenchement de la procédure disciplinaire, c’est-à-dire l’envoi de la convocation à un entretien, et l’exercice de poursuites pénales, que l'action publique soit déclenchée sur initiative du ministère public, sur plainte avec constitution de partie civile ou sur citation directe de la victime.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 230 - mai 2024






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