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Entretien
« Des moyens importants pour transformer l'offre »

20/05/2023

Face à « un manque de données préoccupant », Geneviève Darrieussecq en appelle aux gestionnaires pour aider au déploiement des 50 000 nouvelles solutions annoncées à la Conférence nationale du handicap fin avril et qui s'accompagneront de la création d'un fonds de transformation de l'offre. La ministre déléguée détaille les chantiers qui s’engagent et sa priorité : déployer le repérage précoce. 

« Je ne peux pas entendre le reproche d’un manque de dialogue », indique Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des Personnes handicapées.

Le Conseil de l’Europe a dénoncé récemment la violation par la France de la Charte sociale européenne. Quelle réponse à cette critique ?

Geneviève Darrieussecq. La Conférence nationale du handicap (CNH) apporte des réponses structurantes pour améliorer le quotidien des personnes handicapées et faire respecter leurs droits. Par exemple, concernant l’accessibilité sur laquelle nous avons du retard, le président de la République a voulu marquer cette édition par une action forte : la création d’un fonds territorial d’accessibilité. Cette enveloppe de 1,5 milliard d’euros représente un engagement très important de l’État. Il y aura un soutien aux collectivités les plus fragiles, à la main des préfets, notamment pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public de catégorie 5. Ce sont bien souvent les commerces du quotidien. L’objectif est de faciliter la vie des personnes handicapées mais aussi âgées. L’accessibilité doit être vue comme un investissement sur l’avenir pour des espaces publics plus apaisés. Le fonctionnement du fonds est en train d’être affiné avec la déléguée interministérielle Isabelle Saurat et les nouveaux sous-préfets au handicap. Nous avons quelques mois pour construire d’abord l’engagement pluriannuel puis les modalités de mise en œuvre. J’ai demandé aux sous-préfets d’être en pré-alerte pour démarrer dès que le fonds, construit sur le budget 2024, sera opérationnel.

Au total, soixante-dix mesures ont été annoncées. Quelles sont les priorités ?

G. D. Nous les avons construites autour du parcours des personnes et du respect de leurs droits, en agissant à chacune des étapes de la vie. Ma priorité est de déployer le repérage précoce chez les enfants, initié dans le cadre de la stratégie Autisme, pour éviter les sur-handicaps. Nous allons mettre en place un service public de repérage et d’accompagnement, en amont de ce qui permettra ensuite une meilleure scolarisation. Les pôles inclusifs d’accompagnement localisés vont devenir des pôles d’appui à la scolarité en intégrant d’autres missions. C’est à ce niveau que sera construit la prise en charge des enfants à l’école. Faut-il un soutien médico-social spécifique ? L’aide d’un accompagnant ? Ces solutions intégreront des professionnels médico-sociaux et des enseignants référents, formés spécifiquement, qui viendront en renfort de leurs collègues. Pour soutenir aussi les enfants qui en ont besoin et indirectement les professeurs, nous proposerons de faire entrer des équipes mobiles médico-sociales à l’école. Elles pourront être composées d’éducateurs spécialisés, d’ergothérapeutes…  Il s’agit d’un étayage plus important au service d’une ambition : mieux d’école pour tous.

D’où la création d’un métier d’assistant à la réussite éducative ?

G. D. C’est le souhait de l’Éducation nationale de créer ce statut qui fusionnerait les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et les assistants d'éducation dans un souci d'attractivité du métier. Leur rôle restera le même en leur dégageant du temps périscolaire pour une collaboration avec les collectivités concernées. Nous permettrons aux AESH de passer à temps plein. Les mesures ne visent pas que l'école, mais aussi tout le champ de la formation. Nous allons aussi agir, d'une part, avec l’enseignement supérieur pour une université plus inclusive et, d'autre part, en collaboration avec les régions pour que toutes les formations professionnelles soient en mesure d'accueillir des personnes en situation de handicap. Si des référents ont été nommés au niveau des centres de formation des apprentis, il faut désormais animer ce réseau. Tout cet axe école-formation va être renforcé. Tout comme l’accès à l’emploi qui doit être facilité…

Justement, comment va être amélioré l'accès à l'emploi ?

G. D.  Au-delà de l’emploi accompagné qui va être renforcé, notre objectif est de privilégier le droit commun même s’il y a des particularités. Par exemple, ce sera sous l'égide du service public de l'emploi que se décideront, avec la personne et non plus sur dossier, son projet professionnel. Dans le milieu protégé, tous les travailleurs d'Esat auront bientôt les mêmes droits sociaux que les autres salariés. Nous conserverons uniquement la spécificité de l'interdiction du licenciement. Ensuite, l’objectif de plein emploi avec la préfiguration de France Travail concerne tout autant les personnes en situation de handicap. Ce sera une mission à part de ce service public de l’emploi avec d’importants objectifs de repérage des compétences, de mise en formation professionnelle et d'accompagnement dans l'emploi. Nous avons aussi signé une charte d’engagements avec chaque niveau de collectivités, les départements ayant manifesté leur volonté d’engagement dans le cadre de leur mission d’insertion en favorisant l’émergence de plateformes médico-sociales. 

50 000 nouvelles solutions ont aussi été annoncées. À quoi vont-elles correspondre ?

G. D. Le dernier grand pan est en effet celui de la transformation de l’offre. Avec un constat d’abord : il y a des départements en manque de solutions. C’est le cas notamment de l'Île-de-France, en particulier la Seine-Saint-Denis, ainsi que de la Loire-Atlantique ou des départements de l’Outre-mer. Un investissement particulier sera mis en œuvre dans ces territoires. Ailleurs, les besoins viennent souvent d’un manque de fluidité des parcours. Nous avons 10 000 adultes dans des structures pour enfants, via l’amendement Creton. Il faut mettre un terme à cette situation. Pour couvrir tous ces besoins, le Président a donc annoncé le financement de 50 000 solutions nouvelles. Ce ne sera pas forcément pour les structures « en dur », cela concernera aussi les services (Sessad, Samsah).  

Avec quels moyens ?

G. D. Des moyens importants. 1,5 milliard d'euros supplémentaires seront investis dans les territoires dès 2024, pour qu'à l'horizon 2030 les 50 000 solutions soient totalement déployées. Nous ajoutons également un fonds de transformation de l'offre de 500 millions d'euros piloté par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

Comment être sûr que ce déploiement répondra aux besoins des personnes et des territoires ?

G. D. Nous sommes en manque de données. C’est assez préoccupant. La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie mène avec les Maisons départementales pour les personnes handicapées (MDPH) un travail pour avoir des chiffres consolidés. Mais cela fait huit ans que cela dure… J’encourage donc tout le monde à se concentrer sur ce sujet d’urgence. Je lance un appel à la responsabilité des directeurs et cadres de structures pour remonter avec réactivité les bonnes données et pour les bonnes personnes. Nous ne pourrons construire des solutions intelligentes qu’à cette condition. La Seine-Saint-Denis, par exemple, a mené ce travail et les données sont partagées avec les agences régionales de santé, ce qui va nous permettre d’avancer vite. Il faut que ce soit partout pareil. Tout s’est construit de façon empirique avec des systèmes d’information hétérogènes. Il faut que nous arrivions à avoir des systèmes numériques sinon unifiés, du moins homogénéisés. Je souhaite aussi que les MDPH, qui sont identifiées par tous, soient des lieux d'accompagnement de bout en bout. Qu'elles reçoivent chaque personne qui ouvre un dossier en leur affectant un référent. Je suis toujours frappée par l’isolement sur le terrain. Avec les moyens que nous mettons en œuvre, ce n’est pas possible ! Nous allons donc renforcer les MDPH dans cette mission.

Quel avenir pour les Communautés 360 qui ont elles aussi ce rôle d’accompagnement ?  

G. D. Il faut qu’elles soient reliées aux MDPH à terme. Elles ne se sont pas encore déployées partout. Il y a des territoires où elles le sont par le biais du tissu associatif, d’autres où elles sont à l’intérieur des MDPH… Il faut simplifier les choses. Cela se fera progressivement en tenant compte des spécificités des territoires. Et toutes les conventions d’engagement iront à leur terme.

La CNH plébiscite aussi la transformation des établissements en services, sur la base du volontariat dans le champ des adultes. Quelle articulation avec la réforme tarifaire Serafin-PH ?

G. D. Nous souhaitons la transformation en services d’ici à 2026 dans le champ de l’enfance, mais aussi embarquer progressivement tous les professionnels vers ces projets d’ouverture. Chaque structure doit avoir en tête qu'une institution ce ne sont pas des murs, mais avant tout des équipes et des compétences. Il s'agit, avec l’aide de formations, de s’appuyer pleinement sur les professionnels du secteur, car ce sont les premiers artisans de cette transformation. Serafin-PH est un outil qui donnera plus de souplesse, pour permettre à un enfant de passer d’un institut médico-éducatif à un Sessad. Je ne veux pas que Serafin-PH soit assimilé à une tarification à l'acte (T2A). Les besoins particuliers des structures seront toujours financés pour les sécuriser, mais le reste sera attaché aux besoins de chaque personne. Ce, en commençant par les structures pour enfant car le secteur est prêt, puis les Esat.

Avant la CNH, le conseil national CNCPH a rendu un avis sur la vie sexuelle et affective. Qu’en retenez-vous et notamment sur l’assistance à la vie sexuelle ?

G. D. Le CNCPH a fait treize propositions. Dans les trois mois qui viennent, nous allons travailler avec les partenaires sur l’ensemble de la question avec des sujets importants comme l’intimité, le consentement ou la lutte contre les violences en déployant par exemple le dispositif Handigynéco. En revanche, rien n’a été décidé ou arbitré sur le thème de l’assistance à la vie sexuelle qui ne fait pas l’unanimité, notamment en termes de droit.

La CNH a été marquée par l'absence d'associations dénonçant un manque de dialogue. Comment renouer la confiance ?

G. D. Le dialogue ne s'est jamais arrêté. Toutes les mesures ont été coconstruites avec les associations, les personnes concernées, les collectivités, les professionnels... Au total, huit groupes de travail se sont réunis pendant six mois. Ce travail a mobilisé l’ensemble des directions et cabinets des ministères concernés. Il y a eu aussi quatre comités de pilotage à l’Élysée avec la participation des associations, dont un avant la CNH, où les mesures retenues par les groupes ont été présentées. Je peux comprendre que les associations, qui ont toujours été très motrices, manifestent leur souhait de voir combler certains retards. Mais je ne peux pas entendre le reproche d’un manque de dialogue. La présentation cet été de la nouvelle stratégie Autisme en sera un très bon exemple. Nous devons maintenant nous atteler ensemble à des urgences comme l’attractivité des métiers. Toutes les mesures redonnent du souffle. Il faut capitaliser là-dessus pour donner envie aux jeunes de venir dans le secteur.

L’attractivité concerne aussi le Grand âge. Beaucoup d’acteurs déplorent le manque de lien entre les politiques des deux champs. Qu’en est-il ?

G. D. Les deux politiques se lient bien entendu sur la question de l’attractivité ou sur le vieillissement des personnes handicapées avec une augmentation de l’espérance de vie. Nous avons besoin de trouver des solutions : habitat partagé ou inclusif, unités spécifiques proches des Ehpad. D'autres aspects de la proposition de loi sur le bien-vieillir concernent aussi le handicap comme la lutte contre les maltraitances. On se rejoint sur de nombreux pans et ça tombe bien, nous sommes dans le même ministère !

Propos recueillis par Laura Taillandier - Photos : Thomas Gogny pour Direction[s]

Carte d'identité

Nom. Geneviève Darrieussecq

Parcours. Médecin allergologue, conseillère régionale d’Aquitaine de 2004 à 2015, maire de Mont-de-Marsan de 2008 à 2017, conseillère départementale des Landes de 2015 à 2017, secrétaire d’Etat auprès de la ministre des Armées (2017-2020), puis ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens combattants (2020-2022).

Fonction actuelle. Ministre déléguée chargée des Personnes handicapées.

etNous permettrons aux AESH de passer à temps plein. Les mesures ne visent pas que l'école, mais aussi tout le champ de la formation. Nous allons aussi agir avec les universités, dansd’une part avecl’enseignement supérieur pour une université plus inclusive et d’autre part, en collaboration avec les régions, pour que toutes les formations professionnelles soient en mesure d’accueillir des personnes aient qui auront des bonus si elles accueillent des jeunesen situation de handicap. Si des référents ont été nommés au niveau des centres de formation des apprentis (CFA), il faut désormais animer ce réseau. Tout cet axe école-formation va être renforcé. Tout comme l’accès à l’emploi qui doit être facilité

Publié dans le magazine Direction[s] N° 220 - juin 2023






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